2005 Où est la honte ?
Article mis en ligne le 3 octobre 2005
dernière modification le 14 septembre 2014

par LABROUSSE Jean

J’avais, dans un précédent billet d’humeur, fait la remarque que, quoiqu’en disent certains, quels que soient les pays, les comportements de la droite sont les mêmes, ce qui accrédite le fait que la droite et la gauche ce n’est pas la même chose.

Je vous livre aujourd’hui la traduction, que j’ai faite, d’un article de Nicholas. D. Kristof , du New York Times, publié dans le supplément du journal Le Monde du samedi 10 septembre 2005.

Quoi qu’en dise notre Maire et son entourage, la pauvreté n’est pas une honte pour le pauvre mais bien pour la société qui l’engendre, tout comme les chômeurs ne sont pas des paresseux mais les victimes d’un système qui les prive de travail pour accroître les profits des plus nantis.

Pauvreté, la pire des hontes.

Le malheur de la Louisiane, tel qu’il nous apparaît sur nos écrans de télévision, illustre comment, même en Amérique, des enfants peuvent payer de leur vie le seul fait d’être nés dans une famille pauvre.

Cela illustre aussi la répugnance continuelle, à moins que ce ne soit l’inaptitude, du gouvernement Bush à venir en aide aux américains les plus pauvres. Les scènes de la Nouvelle Orléans m’ont rappelé les souffrances que j’avais pu constater, lors d’une tempête similaire qui tua 130 000 personnes au Bengladesh, à ceci près que le gouvernement de ce pays fit preuve de plus d’empressement pour essayer de sauver les plus vulnérables de ses citoyens.

Mais le cyclone Katrina a mis en évidence un problème plus vaste : le nombre croissant d’américains entraînés, bien malgré eux, dans la spirale sans fin de la pauvreté. Et bien qu’il soit trop tôt pour savoir qui blâmer pour la manière inconséquente de traiter le passage du cyclone, même le propre gouvernement du Président Bush a reconnu que le degré de pauvreté qui existe aux États-Unis rend plus difficile le traitement préventif d’un tel phénomène.

Un rapport du Bureau des Statistiques, publié il y a quelques jours, montre que l’indice de pauvreté s’est à nouveau accru l’année dernière, le nombre de pauvre ayant augmenté de 1,1 million entre 2003 et 2004. Après une diminution rapide sous Bill Clinton, le nombre de personnes pauvres atteintes 17% sous M. Bush.

S’il est honteux que des cadavres gonflés aient envahi les rue de la Nouvelle Orléans, c’est encore plus scandaleux que le taux de mortalité infantile soit deux fois plus élevé dans la capitale des États-Unis qu’il ne l’est dans celle de la Chine. Très exactement : en 2002 le nombre de bébés morts avant d’avoir atteint leur premier anniversaire, s’est élevé à 11,5 pour 1000 naissances à Washington, contre 4,6 à Pékin.

De fait, selon le Programme des Nations Unis pour le Développement, un bébé noir né à Washington, a moins de chance de survivre à son premier anniversaire que s’il était né dans une zone urbaine de l’état de Kerala en Inde.

Sous M. Bush la mortalité infantile nationale s’est accrue pour la première fois depuis 1958. L’Atlas Statistique Mondial (World Factbook), publié par la CIA, range les États-Unis au 43e rang mondial.

En fait, d’une certaine manière, les enfants pauvres qui ont été évacués de la Nouvelle Orléans, ont de la chance car ils vont subir un examen médical complet et être vaccinés. Nationalement, à un quelconque moment durant les derniers 12 mois, 29 % des enfants n’ont pas eu d’assurance maladie et beaucoup n’ont eu ni contrôle médical ni vaccination.

Le pillage est l’un des éléments les plus désespérants de la catastrophe de la Nouvelle Orléans. En 1995 je couvrais le tremblement de terre qui détruisit la majeure partie de Kobé, au Japon, tuant 5500 personnes et, pendant plusieurs jours, je recherchais la trace de comportements criminels. Finalement je rencontrais un habitant qui avait vu trois hommes qui volaient de la nourriture. Je lui demandais si cela le gênait que des japonais commettent de tels crimes.

« Non, vous avez mal compris, » me dit-il fermement. « Ces pillards n’étaient pas Japonais, c’étaient des étrangers. »

Les causes à cela sont complexes et en partie culturelles, mais l’une des raisons tient au fait que le japon a fait beaucoup d’efforts pour tisser entre les japonais des liens construisant ainsi un véritable tissu social national. Au contraire, aux États-Unis - en particulier sous le gouvernement Bush - tout a été fait pour couper les gens de ces tissus sociaux en redistribuant la richesse des plus vulnérables vers les plus nantis.

Ce n’est pas seulement parce que les crédits sont allés à l’Irak plutôt qu’à la réfection des digues de la Nouvelle Orléans ; c’est aussi que l’on a préféré réduire les impôts des plus riches plutôt que de dépenser des fonds pour la vaccination des enfants.

Rien de ceci n’a pour but de faire croire qu’il existe des solutions faciles au problème de la pauvreté aux États-Unis. Comme le disait une fois Ronald Reagan, « Nous avons fait la guerre à la pauvreté, et la pauvreté a gagné. »

Mais nous nous devons de ne pas être si pessimistes - dans les années 1990 nous avons fait de réels progrès.

La plus beau monument que nous puissions élever en souvenir de la catastrophe de la Nouvelle Orléans serait de faire un sérieux effort national pour nous attaquer à la pauvreté qui affecte l’ensemble du pays. L’état de choc dans lequel nous sommes et notre sentiment de culpabilité devraient rendre la chose politiquement faisable. Rich Lowry du « The National Review », dans sa défense de M. Bush, a fait une excellente suggestion : « une vaste négociation droite-gauche qui inclurait que la Gauche accepte de porter plus d’attention aux créations non conventionnelles en échange du soutien que la Droite apporterait à un accroissement des dépenses en faveur des villes. » Ceci pourrait être le meilleur héritage légué par Katrina.

Sans cela, longtemps après que les horreurs auront déserté les écrans de télé, environ 50 des 77 bébés qui, en moyenne, meurent chaque jour, mourront de toutes façons, conséquence de la pauvreté.

C’est cela le pire des cyclones, celui de la de la pauvreté, qui est honte de notre pays.
Nicholas.D.Kristof

Au moment où nous n’entendons parler que de la nécessité de réduire les impôts, « l’État vit au dessus de ses moyens » comme se plait à le marteler notre ministre de l’économie, faisant chorus avec le Medef et le Président de l’UMP, mais il y a-t-il une différence ? Il serait de bon de savoir qui va en fin de compte souffrir de ce désengagement de l’État. Certainement pas les bénéficiaires des baisses d’impôt mais bien les couches les plus en danger de notre société.

Il n’y a pas qu’aux États-Unis qu’il y a des pauvres et que leur nombre augmente !